
L’astronomie nous offre le vertige d’impensables immensités : celles de l’espace, du temps ou de la multiplicité des mondes. Toutefois, le plus souvent, ces immensités ne résultent que d’un élargissement ou d’une multiplication des situations connues. Nous agrandissons simplement par le calcul ou l’imagination ce qui nous est familier.
Mais depuis quelques années, la recherche nous emmène sur des territoires infiniment plus vastes et plus inconcevables encore. Non seulement l’Univers est immense, incommensurable, peut-être infini, mais il est multiple. Il n’y aurait pas un Univers, mais une multitude et même une infinité d’Univers, sans communication aucune, ni spatiale, ni temporelle (sinon bien sûr, chacun ne constituerait alors que les parties d’un même tout, et le mot Univers prenant par définition le sens de la globalité, les comprendrait tous). Jusqu’à présent deux voies existaient pour penser ces nouveaux infinis.
D’une part le développement des théories de l’inflation, cette séquence du Big-Bang qui, aux tous débuts de notre monde, aurait en une infime fraction de seconde multiplié la taille de notre Univers par un facteur gigantesque, conduisant la trame de l’espace-temps à s’étendre brutalement à des vitesses très supérieures même à celle de la lumière (1).
Ces théories offrent une certaine cohérence au scénario du Big-Bang (elles ont d’ailleurs été élaborées en ce sens). Cette inflation permet en effet de penser que toutes les régions de cet Univers ont été un temps en contact les unes avec les autres, justifiant l’homogénéité du monde constatée à grande échelle. L’inflation offre aussi une explication au caractère apparemment euclidien de notre univers, elle a « aplati » les irrégularités de courbures locales à la façon dont le gonflement d’un ballon gomme les plis du ballon dégonflé.
Or, ce scénario dit « inflationnaire » envisage que la vitesse d’expansion ait connu ça et là quelques irrégularités menant à la création de « bulles » indépendantes (comme dans une sorte de mécanisme de cavitation). Chacune de ces bulles devenant alors un Univers indépendant, car séparé du reste à ce moment-là et incapable de s’y recoller. C’est là une première voie pour concevoir les univers multiples, autre nom des multivers.
La seconde catégorie est plus surprenante encore et prend naissance dans l’une des nombreuses interprétations de la mécanique quantique, c’est-à-dire bien souvent dans les tentatives pour rendre compréhensible des phénomènes a priori inconcevables pour l’esprit.
L’interprétation reine ou orthodoxe, parfois dite de Copenhague en référence à Niels Bohr son chef de file, considère que tout phénomène, toute réalité matérielle effective, ne prend corps qu’après sa mesure. La réalité n’existe qu’après sa constatation. Avant, seule existe une probabilité que la mesure donne tel ou tel résultat. A la fameuse question « Est-ce que la Lune existe quand je ne la regarde pas ? », la mécanique quantique orthodoxe répond clairement non, au moins pour les particules (2). Bien sûr, cela donne lieu à mille débats philosophiques sur la nature du réel et sur le lien entre objet observé et observateur, redonnant éventuellement un rôle prééminent à la conscience dans la définition de la réalité et proposant même, selon certains, un nouveau lien entre science et religion.
Parmi les tentatives pour essayer de comprendre ou même d’éviter cette théorie surprenante et déstabilisante qui rend le réel dépendant de la conscience qui l’observe, l’une des plus remarquables, mais aussi des plus effrayantes est celle proposée par Hugh Everett en 1957.
Selon Everett, chaque fois que plusieurs possibilité de résultats existent, (c’est-à-dire en pratique plusieurs milliards de fois par seconde pour chacune de toutes les particules de l’Univers, je laisse imaginer le nombre de combinaisons auquel cela conduit depuis plusieurs milliards d’années) la nature ne choisit pas un résultat parmi tous les possibles au moment de la « mesure », mais l’Univers se démultiplie en autant d’autres Univers qu’il y a de possibilités. Nous sommes à chaque fois dans l’un d’entre eux et nos « doubles » ou plutôt nos « multiples » sont dans les autres, sans bien sûr la moindre possibilité de communication entre eux : ce sont bien des Univers différents. Dès lors, plus de mystère quant à la réduction de la réalité à une seule des probabilités, mais par contre, une inflation vertigineuse du nombre de ces réalités, c’est-à-dire de ces Univers. C’est là l’autre catégorie de Multivers.
Récemment le physicien Yasunori Nomura a proposé de relier ces deux catégories de multivers (ceux issus de l’inflation et ceux issus de la théorie d’Everett donc) en proposant qu’il s’agisse d’un seul et même phénomène. La revue Pour la Science dans son numéro de septembre 2017 (3) a publié un article de ce chercheur décrivant les grandes lignes de son raisonnement. Le suivre nécessite une très bonne connaissance de chacune des théories, ce qui dépasse largement le cadre de ce site. Le point principal est que la formation d’une nouvelle « bulle-Univers » (première catégorie donc) est l’équivalent d’un résultat possible de mesure (deuxième catégorie). Les différents « Univers-bulles » ne coexisteraient pas en « réel » mais dans une sorte d’espace mathématique de probabilité comparable à celui proposé par la mécanique quantique. Dans ce cadre, les habitants d’un Univers peuvent retrouver le concept de prédictabilité (indispensable à la science) qui s’évanouit lorsque l’on propose que soit réelle l’infinité des possibles; en effet, si tout est possible rien n’est prédictible de façon unique puisque tout peut arriver.
De telles théories sont très difficiles à tester et l'on peut leur faire le reproche de n'être que de pures spéculations malgré la rigueur scientifique de ceux qui les portent. Elles semblent toutefois confirmer que l’Univers est compliqué, extrêmement surprenant, probablement incompréhensible à des cerveaux sélectionnés par la nature pour faire face aux tâches de survie immédiate. Infiniment étrange et déstabilisante, la réalité dépasse et dépassera peut-être ce que nous pouvons concevoir. Cependant, puissent les travaux de ces chercheurs favoriser le lien, à mon avis fécond et nécessaire, entre philosophes et scientifiques.
Voir ici la conférence donnée par Aurélien Barrau sur ce sujet
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(1) Sans que cela ne vienne en contradiction avec la relativité restreinte car, dans le cadre de cette théorie, ce sont les objets matériels, les rayonnements ou l’information dont la propagation ne peut dépasser la vitesse de la lumière (299 792 458 mètres par seconde), la trame de l’espace-temps peut s’étendre plus vite. Les objets qui de ce fait seulement s’éloigneraient les uns des autres plus vite que la lumière ne peuvent se voir et communiquer et donc, aucune mesure de vitesse supérieure à la lumière ne peut être constatée. La sacro-sainte loi de la relativité n’est pas violée.
(2) Nous n’évoquerons pas ici le délicat problème aussi bien technique que conceptuel du passage du microscopique au macroscopique les deux semblant fonctionner selon des lois différentes (respectivement quantique et classique) alors que le second n’est que l’agrégation du premier. Il va de soi que c’est un des problèmes parmi les plus étudiés et les plus discutés de la physique.
(3) Pour la science : numéro 479, septembre 2017, p 25 à 34. Article de Yasunori Nomura, Les univers multiples, miroir du monde quantique ?, (le lien ici proposé donne accès au début du texte). Cet article est par ailleurs suivi d'une étude de Sébastien Renaud-Petel rappelant les atouts du scénario de l’inflation.