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7 septembre 2017 4 07 /09 /septembre /2017 14:04

L’astronomie nous offre le vertige d’impensables immensités : celles de l’espace, du temps ou de la multiplicité des mondes. Toutefois, le plus souvent, ces immensités ne résultent que d’un élargissement ou d’une multiplication des situations connues. Nous agrandissons simplement par le calcul ou l’imagination ce qui nous est familier.

Mais depuis quelques années, la recherche nous emmène sur des territoires infiniment plus vastes et plus inconcevables encore. Non seulement l’Univers est immense, incommensurable, peut-être infini, mais il est multiple. Il n’y aurait pas un Univers, mais une multitude et même une infinité d’Univers, sans communication aucune, ni spatiale, ni temporelle (sinon bien sûr, chacun ne constituerait alors que les parties d’un même tout, et le mot Univers prenant par définition le sens de la globalité, les comprendrait tous). Jusqu’à présent deux voies existaient pour penser ces nouveaux infinis.

 

D’une part le développement des théories de l’inflation, cette séquence du Big-Bang qui, aux tous débuts de notre monde, aurait en une infime fraction de seconde  multiplié la taille de notre Univers par un facteur gigantesque, conduisant la trame de l’espace-temps à s’étendre brutalement à des vitesses très supérieures même à celle de la lumière (1).

Ces théories offrent une certaine cohérence au scénario du Big-Bang (elles ont d’ailleurs été élaborées en ce sens). Cette inflation permet en effet de penser que toutes les régions de cet Univers ont été un temps en contact les unes avec les autres, justifiant l’homogénéité du monde constatée à grande échelle. L’inflation offre aussi une explication au caractère apparemment euclidien de notre univers, elle a « aplati » les irrégularités de courbures locales à la façon dont le gonflement d’un ballon gomme les plis du ballon dégonflé.

Or, ce scénario dit « inflationnaire »  envisage que la vitesse d’expansion ait connu ça et là quelques irrégularités menant à la création de « bulles » indépendantes (comme dans une sorte de mécanisme de cavitation). Chacune de ces bulles devenant alors un Univers indépendant, car séparé du reste à ce moment-là et incapable de s’y recoller. C’est là une première voie pour concevoir les univers multiples, autre nom des multivers.

 

La seconde catégorie est plus surprenante encore et prend naissance dans l’une des nombreuses interprétations de la mécanique quantique, c’est-à-dire bien souvent dans les tentatives pour rendre compréhensible des phénomènes a priori inconcevables pour l’esprit.

L’interprétation reine ou orthodoxe, parfois dite  de Copenhague  en référence à Niels Bohr son chef de file,  considère que tout phénomène, toute réalité matérielle effective, ne prend corps qu’après sa mesure. La réalité n’existe qu’après sa constatation. Avant, seule existe une probabilité que la mesure donne tel ou tel résultat. A la fameuse question « Est-ce que la Lune existe quand je ne la regarde pas ? », la mécanique quantique orthodoxe répond clairement non, au moins pour les particules (2). Bien sûr, cela donne lieu à mille débats philosophiques sur la nature du réel et sur le lien entre objet observé et observateur, redonnant éventuellement un rôle prééminent à la conscience dans la définition de la réalité et proposant même, selon certains, un nouveau lien entre science et religion.

Parmi les tentatives pour essayer de comprendre ou même d’éviter cette théorie surprenante et déstabilisante qui rend le réel dépendant de la conscience qui l’observe, l’une des plus remarquables, mais aussi des plus effrayantes est celle proposée par Hugh Everett en 1957.

Selon Everett, chaque fois que plusieurs possibilité de résultats existent, (c’est-à-dire en pratique plusieurs milliards de fois par seconde pour chacune de toutes les particules de l’Univers, je laisse imaginer le nombre de combinaisons auquel cela conduit depuis plusieurs milliards d’années) la nature ne choisit pas un résultat parmi tous les possibles au moment de la « mesure », mais l’Univers se démultiplie en autant d’autres Univers qu’il y a de possibilités. Nous sommes à chaque fois dans l’un d’entre eux et nos « doubles » ou plutôt nos « multiples » sont dans les autres, sans bien sûr la moindre possibilité de communication entre eux : ce sont bien des Univers différents. Dès lors, plus de mystère quant à la réduction de la réalité à  une seule des probabilités, mais par contre, une inflation vertigineuse du nombre de ces réalités, c’est-à-dire de ces Univers. C’est là l’autre catégorie de Multivers.

 

Récemment le physicien Yasunori Nomura a proposé de relier ces deux catégories de multivers (ceux issus de l’inflation et ceux issus de la théorie d’Everett donc) en proposant qu’il s’agisse d’un seul et même phénomène. La revue Pour la Science dans son numéro de septembre 2017 (3) a publié un article de ce chercheur décrivant les grandes lignes de son raisonnement. Le  suivre nécessite une très bonne connaissance de chacune des théories, ce qui dépasse largement le cadre de ce site. Le point principal est que la formation d’une nouvelle « bulle-Univers » (première catégorie donc) est l’équivalent d’un résultat possible de mesure (deuxième catégorie). Les différents « Univers-bulles » ne coexisteraient pas en « réel » mais dans une sorte d’espace mathématique de probabilité comparable à celui proposé par la mécanique quantique. Dans ce cadre, les habitants d’un Univers peuvent retrouver le concept de prédictabilité (indispensable à la science) qui s’évanouit lorsque l’on propose que soit réelle l’infinité des possibles; en effet, si tout est possible rien n’est prédictible de façon unique puisque tout peut arriver.

 

De telles théories sont très difficiles à tester et l'on peut leur faire le reproche de n'être que de pures spéculations malgré la rigueur scientifique de ceux qui les portent. Elles semblent toutefois confirmer que l’Univers est compliqué, extrêmement surprenant, probablement incompréhensible à des cerveaux sélectionnés par la nature pour faire face aux tâches de survie immédiate. Infiniment étrange et déstabilisante, la réalité dépasse et dépassera peut-être ce que nous pouvons concevoir.  Cependant, puissent les travaux de ces chercheurs favoriser le lien, à mon avis fécond et nécessaire, entre philosophes et scientifiques.

 

Voir ici la conférence donnée par Aurélien Barrau sur ce sujet

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(1) Sans que cela ne vienne en contradiction avec la relativité restreinte car, dans le cadre de cette théorie, ce sont les objets matériels, les rayonnements ou l’information dont la propagation ne peut dépasser la vitesse de la lumière (299 792 458 mètres par seconde), la trame de l’espace-temps peut s’étendre plus vite. Les objets qui de ce fait seulement s’éloigneraient les uns des autres plus vite que la lumière ne peuvent se voir et communiquer et donc, aucune mesure de vitesse supérieure à la lumière ne peut être constatée. La sacro-sainte loi de la relativité n’est pas violée.

(2) Nous n’évoquerons pas ici le délicat problème aussi bien technique que conceptuel du passage du microscopique au macroscopique les deux semblant fonctionner selon des lois différentes (respectivement quantique et classique) alors que le second n’est que l’agrégation du premier. Il va de soi que c’est un des problèmes parmi les plus étudiés et les plus discutés de la physique.

(3) Pour la science : numéro 479, septembre 2017, p 25 à 34. Article de Yasunori Nomura, Les univers multiples, miroir du monde quantique ?, (le lien ici proposé donne accès au début du texte). Cet article est par ailleurs suivi d'une étude de Sébastien Renaud-Petel rappelant les atouts du scénario de l’inflation.  

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1 décembre 2014 1 01 /12 /décembre /2014 14:04

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Comme il est difficile de se représenter l’Univers !

Est-il fini ? Mais alors que se passe-t-il si, allant jusqu’à sa frontière, l’on essaye de tendre le bras « de l’autre côté » ?  Est-ce possible ? Si cela ne l’est pas : pourquoi ? (1) Quelle est la nature de la barrière ? Si au contraire cela se peut, notre bras se trouve-t-il alors dans un Univers que nous aurions agrandi par ce geste ou se trouve-t-il désormais à l’extérieur ? Mais s’il y a un extérieur, c’est que l’Univers n’est pas tout ; ce qui est en contradiction flagrante avec le concept intuitif de l’Univers, justement identifié à ce « tout ».  

L'Univers est-il alors plutôt infini ? Mais dans ce cas, comment le penser ? On ne peut plus rien dire de sa forme, de sa taille. Aucune vision, aucune description ne peuvent plus l’englober… Que saurions-nous dire de nos yeux sans un miroir ou un regard extérieur ?  

De toute évidence, le cerveau humain n’est pas fait pour penser l’infini. Cela pose d’insondables problèmes comme l’existence de situations identiques ou presque identiques répétées à l’infini, idée vraiment troublante, surtout si on l’applique aux êtres vivants (et en particulier à nous-mêmes). Si l’on ajoute que la dimension temporelle vient encore compliquer la situation, le doute et le vertige nous guettent.  

La relativité avait mis à bas notre bon sens, la mécanique quantique nous avait appris à accepter l’inacceptable et la cosmologie nous force encore et toujours à penser l’impensable « Dieu est subtil » aurait dit Albert Einstein (2). Oui, pour le moins.

 

Les hommes ont inventé autant de cosmologies que de sociétés afin de de se représenter le monde et d’en raconter la genèse et l’histoire.  

L’une des plus anciennes et des plus remarquables façons d’évoquer toutes les ambiguïtés liées à la connaissance de l’inconnaissable est l’allégorie de la caverne de Platon. Des hommes enchainées au fond d’une caverne ne voient du monde extérieur que des ombres, images floues en deux dimensions d’un univers qui en comporte une de plus et qui leur reste inaccessible. Images qui constituent pourtant toute leur réalité et dont ils doivent se contenter. Platon aurait-il pu imaginer qu’un peu plus de deux millénaires plus tard,  une science inconcevable pour son temps allait donner corps à cette vision des choses ?  

La thèse proposée dans l’article « Le trou noir à l’origine du Big Bang  » (3) récemment publié dans la revue Pour la science semble aller dans cette direction. Voici comment trois chercheurs, Niayesh Afshordi, Robert Mann et Razieh Pourhasan nous proposent de représenter le monde. 

De même que les prisonniers de Platon n’avaient pour réalité qu’un monde monochrome en deux dimensions, projection d’une réalité plus riche,  polychrome et tridimensionnelle, notre Univers en trois dimensions (laissons le temps de côté) ne serait que la projection d’un univers « supérieur » en quatre dimensions (un peu comme une plaque holographique bidimensionnelle contient la projection d’une image en trois dimensions). L’idée n’est pas tout à fait nouvelle et dans la cosmologie contemporaine trainent depuis longtemps ces notions de branes, univers en n dimensions flottant dans un espace au nombre de dimensions plus important (on peut imaginer des feuilles de papier - deux dimensions - flottant dans l’espace). Pour certains, le Big Bang ne serait d’ailleurs que l’effet d’une collision entre de telles branes au sein d’un univers plus vaste (le Bulk en anglais).  Ce qui est nouveau ici, c’est le détail du scénario.    

Dans cet univers à quatre dimensions (encore une fois, le temps mis à part), existeraient l’équivalent 4D de nos étoiles, et comme les nôtres, certaines, les plus massives, pourraient en fin de vie s’effondrer en trou noir (4). Autour d’un trou noir se trouve une frontière immatérielle appelée horizon. Cette zone sépare le trou noir proprement dit du reste de l’Univers. Elle a pour caractéristique de n’être franchissable que dans un seul sens, de l’extérieur vers l’intérieur, car pour la franchir en sens inverse, un corps matériel, un rayonnement, ou de façon plus générale toute information, devrait dépasser la vitesse de la lumière (5) ce qui violerait le tabou ultime de la physique.

Nos auteurs imaginent donc que notre Univers serait une brane à trois dimensions plaquée sur l’horizon d’un trou noir en quatre dimensions (ou bien même, constituant cet horizon). Il se serait formé à l’occasion de l’effondrement stellaire qui serait donc à l’origine de ce que nous appelons aujourd'hui le Big Bang

Nous sommes là dans des phénomènes que l’esprit a bien du mal à se représenter (6) Selon les trois chercheurs, cette vision des choses - qu’ils qualifient eux-mêmes de Big Bang holographique - offre plusieurs avantages. Elle permettrait en particulier de justifier la platitude de l’Univers sans recourir à l’inflation, cette expansion fulgurante supposée avoir lissé les irrégularités de l’Univers primordial. Or l’inflation est une théorie que certains continuent à assimiler au mécanisme des épicycles (7) une théorie ad hoc donc, qui aurait été conçue sans preuve dans le seul but de justifier la platitude spatiale (8). Il serait séduisant de s’en passer. L’embarrassant concept de singularité initiale semblerait également poser moins de problèmes dans ce nouveau cadre ; en tout cas, la question des origines ultimes se trouverait une fois encore repoussée à un niveau supérieur.

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(1) Une façon de se sortir de cette difficulté à penser la barrière est de nier son existence en imaginant un Univers au nombre de dimensions donné qui se trouverait courbé dans un espace au nombre de dimension supérieur. L'exemple type est la spère sphère qui est un monde à deux dimensions courbé dans un espace en possédant trois. Nous pouvons ainsi parcourir la surface de la Terre sans jamais rencontrer sa frontière bien que notre planète soit de taille et donc de surface finie.

(2) La phrase complète serait « Dieu (le Seigneur) est subtil, mais il n’est pas malveillant »…. Espérons ! C’est déjà assez compliqué comme cela.

(3) « Le trou noir à l’origine du Big Bang »  un article de Niayesh Afshordi, Robert Mann et Razieh Pourhasan, dans « Pour la Science » numéro 446, décembre 2014, pages 24 à 31.

(4) Rappel : un trou noir est une zone de l’espace-temps suffisamment compacte (du fait de la masse ou de l’énergie présentes dans un volume donné) pour courber localement la trame de l'espace-temps  avec une intensité telle que rien, même la lumière - ou plus généralement les ondes électromagnétiques - ne peut s’en échapper.  

(5) Habituellement notée c et précisément égale à 299 792 458 ms-1

(6) Inutile de se donner mal à la tête à essayer de se représenter la quatrième dimension, notre cerveau en est incapable et même Einstein n’aurait su faire. Mais si ces jeux « dimensionnels » vous intéressent, n’hésitez pas à vous livrer à la lecture du célèbre livre d’Edwin Abbott : Flatland, qui explore au contraire des univers de dimensions inférieures.

(7) Il va de soi que les principaux auteurs de la théorie de l’inflation, Andreï Linde, Alan Guth, et Alexeï Starobinsky contestent tout à fait cette interprétation de l’inflation conçue comme une simple hypothèse ad hoc et considèrent au contraire que leur théorie est largement confortée par les toutes dernières découvertes et ne peut en aucun cas relever du modèle des épicycles (système permettant de rendre compte des mouvements planétaires - notamment des rétrogradations – dans le monde réel à partir d’un modèle géocentrique pourtant erroné (encore que, voir cet article)). On peut retrouver l’argumentation des trois célèbres cosmologistes dans l’article : « Rencontre avec les trois pères de l’inflation », Ciel et Espace numéro 534, novembre 2014, pages 42 à 45.

(8) Un espace est dit plat s’il vérifie certaines règles géométriques. Par exemple, un espace bidimensionnel, c'est à dire une surface au sens courant du terme ou un plan, est considéré comme plat si la somme des angles d’un triangle qui y serait dessiné  est égale à 180°. Cela n’est plus le cas si l’on courbe cette surface. Il existe l’équivalent de ces règles en trois dimensions et il semble que, sauf  localement à l’approche de grandes concentrations de masse, (les trous noirs par exemple) notre espace soit plat ou quasi plat. L’inflation qui a agrandi  violemment l'espace en une fraction de seconde au début de l'histoire de l'Univers aurait participé à cet état de fait.

Pour tous ceux que passionnent ces problèmes je ne peux que recommander la lecture de ces livres extraordinaires que sont « La magie du Cosmos » et « L’Univers élégant », tous deux de Brian Greene.

Source de l'illustration : Pour la science

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