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Les plus grandes fusées du monde
Source de l'image, Wikimedia Commons par Thoren (travail personnel)
Si SpaceX fait sienne la formule selon laquelle on apprend de ses échecs, alors, les ingénieurs du Starship (1) doivent être particulièrement savants.
En 9 lancements de sa fusée géante, SpaceX a certes réussi 3 rattrapages du premier étage (le « booster » ou « super heavy ») ce qui est remarquable, mais elle n’a toujours pas mis en orbite le moindre kilogramme et, sur les 4 seconds étages de la version 2, lancés ou testés, l’entreprise a connu 4 explosions de suite : 3 dans l’espace et une au sol, endommageant très sérieusement le centre d’essai de Boca Chica le 19 juin dernier (2).
Cette stratégie à base d’essais multiples pour apprendre et s’améliorer au fil du temps peut se justifier… A condition qu’elle ne dure pas trop longtemps.
La comparaison avec ce qui s’est passée de 1967 à 1973 (!) avec les fusées Saturne 5 est édifiante, au complet détriment du Starship.
Starship : 9 lancements : aucune mission menée (hors tests) et de nombreuses explosions.
Saturne 5 : 13 lancements, aucun échec. Une fusée à laquelle on a confié des vies humaines dès la seconde utilisation (Apollo 6) et que, dès la troisième (Apollo 8) on a chargé d’emmener des hommes autour de la Lune, une entreprise toute nouvelle et particulièrement périlleuse. On connaît la difficulté que rencontre aujourd’hui le programme Artemis pour refaire la même chose 57 ans plus tard ! Quel astronaute monterait en 2025 au sommet d’un Starship ?
On peut imaginer que, dans quelques années, ces balbutiements seront oubliés si, finalement, la fusée devient fiable. Hélas, à cette différence de fiabilité s’ajoute une différence de performances et d’efficacité.
Starship V1 : masse totale au décollage : 5 000 tonnes, masse satellisable (charge utile) en orbite basse : 50 tonnes pour la version réutilisable du lanceur (masse virtuelle pour l’instant, car elle ne l’a donc encore jamais fait) : La V2 placerait théoriquement 100 tonnes toujours en mode réutilisable, la V3, à terme, viserait les 200 tonnes.
Saturne 5 : masse totale au décollage : 3 000 tonnes, masse satellisable, toujours en orbite basse, 140 à 145 tonnes (masse effectivement satellisée cette fois) !
Donc, près de 60 ans après, disposant de toute l’expérience passée, de moyens informatiques sans commune mesure, SpaceX construit une fusée moins fiable et moins performante. La masse satellisable en orbite basse représente environ un centième de la masse totale de Starship au décollage quand, pour Saturne 5, elle représentait un vingtième ! L’efficacité a donc été divisée par 5 ! Bien sûr, le programme est pour l’instant moins cher (sans résultat toutefois) et l’on vise la réutilisation des lanceurs, mais c’est peut-être là le problème.
Pourquoi une telle chute de l’efficacité ?
Cette diminution d’efficacité est liée la volonté de faire du Starship une machine entièrement réutilisable (étages 1 et 2). C’est une ambition louable et qui a d’ailleurs bien réussi à l’autre réalisation phare de SpaceX, la fusée Falcon 9 (3) utilisée pour placer en orbite différents satellites dont ceux de la constellation Starlink, mais aussi les capsules Crew Dragon, seul véhicule américain permettant aujourd’hui l’accès à l’espace et à l’ISS à des astronautes.
Cette ambition de réutilisation n’est évidemment pas nouvelle ni ne constitue une idée propre à Elon Musk. Tous les ingénieurs y ont pensé dès les débuts de l’astronautique, mais seule l’électronique moderne permettant un pilotage très précis avec des temps de réaction ultra courts ont permis de la mettre en œuvre.
Seule exception notable : la navette spatiale qui fit l’objet de 135 lancements entre 1981 et 2011. Le mode de récupération était toutefois différent puisqu’il s’agissait d’un atterrissage en mode « avion ». Hélas cette option qui devait faire chuter les coûts les a en réalité augmentés. La masse « morte » de la navette elle-même était énorme (plus de 60 tonnes) obligeant à satelliser une masse très supérieure aux seules charges effectivement utiles mises en orbite. Son coût de remise en état après chaque lancement était faramineux (chaque mission aurait coûté en moyenne 1,4 milliard d'euros, valeur 2008). La navette s’est en outre montrée très dangereuse, entraînant la mort de 14 astronautes (4) ce qui conduisit finalement à son abandon pour revenir à des fusées classiques, c’est-à-dire, à usage unique.
Réutiliser une fusée suppose en effet de la faire redescendre et de savoir la faire atterrir (c’est en cela que l’informatique moderne est incontournable). Cela oblige à utiliser des ergols pour freiner la descente. Ces ergols (le carburant : du méthane, et le comburant : de l’oxygène pour Starship) se trouvent donc indisponibles pour assurer la montée mais doivent être en outre eux-mêmes élevés en altitude avec la structure du premier étage, c’est cette nécessité qui fait s’écrouler l’efficacité du lanceur.
Si cela reste parfois économiquement rentable, la structure du lanceur étant bien plus coûteuse que les ergols, d’où le succès de la procédure pour les lancements des Falcon 9, par contre, dès que l’on est en recherche de performance (rapport masse satellisée/ masse initiale le plus élevé possible) et c’est le cas pour les missions lunaires ou martiennes qui sont envisagées, nécessitant d’envoyer de très lourdes charges, alors, la performance est déterminante. La réutilisation ne le permet pas sauf à prévoir de multiples lancements, complexifiant les missions à l’extrême et générant des risques et finalement des coûts supplémentaires.
Dans ces conditions, les projets (et les délais) pour l’exploration de la Lune semblent bien compromis (SpaceX doit théoriquement fournir une version du Starship pour se poser sur la Lune dans le cadre de la coopération avec la Nasa pour le programme Artemis). Quant aux ambitions de conquête martienne, elles relèvent tout simplement du délire, je ne changerais là-dessus pas un mot à ce qui avait été écrit il y a 7 ans déjà sur ce site : Nous n’irons pas sur Mars. Voire également cette analyse assez sévère des projets martiens de SpaceX sur cette vidéo du Journal de l'Espace (YouTube).
Autres problèmes astronomiques dans la galaxie SpaceX-Starlink : l’encombrement orbital (voir cet article ainsi que celui-ci sur le syndrome de Kessler mais aussi la gêne croissante en matière d’observation astronomique dans le domaine du visible comme celui des ondes radios)
Il serait toutefois injuste de blâmer la seule SpaceX, les errements de la NASA (dont il est vrai les budgets ne sont jamais acquis sur longue période) ne donnent pas une meilleure image. Le programme Artemis voit son calendrier toujours décalé et son ambition semble aujourd’hui limitée à une orbite autour de la Lune et un atterrissage sur notre satellite dont on ne voit finalement pas trop l’utilité.
L’incertitude frappe à tous les niveaux, à celui de l’atterrisseur de SpaceX donc, mais aussi à celui de la fusée SLS au coût exorbitant - environ 4 milliards par lancement – et à la sécurité très moyenne avec ses boosters à carburant solide ne pouvant être éteints en cas de problème. Quant à ses performances, bien qu’il s’agisse d’un lanceur non réutilisable, elles restent, elles aussi, inférieures à celles de sa vénérable ancêtre Saturne 5 qui utilisait il est vrai deux étages avec le plus performant des couples d’ergols : l’ensemble oxygène-hydrogène. Le sort d’une éventuelle station en orbite lunaire (Lunar Gateway), un temps envisagée, semble aussi aujourd’hui bien incertain.
On se fait beaucoup d’illusions sur le progrès technique en se focalisant sur l’aspect électronique, c’est oublier qu’une fusée c’est d’abord, des réservoirs, des tuyaux, des turbopompes. Or, en la matière, les progrès ont été beaucoup plus modestes, les performances comparées en attestent. Cette question du progrès surestimé ne se limite sans doute pas à l'astronautique.
Restent un autre problème, la capacité des nations à gérer dans le temps de grands programmes - plus de 400 000 personnes (très qualifiées) et 20 000 entreprise industrielles ont travaillé pour le programme Apollo -, il semble que l’on ne sache plus faire des choses de cette ampleur et de cette durée. Il est possible qu’en Chine la situation soit différente, le long terme est sans doute mieux pris en compte. Nous verrons dans les années à venir, car ce pays à de grandes ambitions pour la Lune d’abord (et là c’est réaliste) et aussi pour Mars. Sur ce dernier point toutefois, mêmes remarques que vis-à-vis de SpaceX, Mars, c’est mille fois plus loin que notre satellite: une différence d'ordre de grandeur à ne pas oublier et qui rend sans doute la planète rouge inaccessible aux humains.
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(1) De façon un peu déroutante Starship désigne à la fois le nom de l’ensemble de la fusée (le premier étage, dit booster ou super heavy, plus le second étage destiné à la satellisation), et aussi spécifiquement ce seul second étage. Remarquons qu’en Russie, la même ambiguïté entoure le nom Soyouz utilisé pour la capsule qui emporte les astronautes et pour l’ensemble de son lanceur plus elle-même.
(2) Au moment où nous écrivons ces lignes, l’origine de l’explosion du Starship V2 lors d’essais le 19 juin 2025 serait due à une défaillance d’un réservoir d’azote destiné à la pressurisation des réservoirs principaux et de différents systèmes. Cela aurait endommagé des canalisations entraînant de proche en proche une explosion de du réservoir d’oxygène d’abord puis de celui de méthane avec une forte réaction des deux une fois ensemble.
(3) Dans la Falcon 9 toutefois, seul le premier étage est récupéré et réutilisé, le second est perdu à chaque lancement. Le modèle est économiquement rentable mais les rendements (masse satellisée / masse du lanceur) sont mauvais à cause justement de cette réutilisation. Très souvent les performances de la fusée sont d’ailleurs publiées sans préciser qu’il s’agit de la version sans réutilisation (auquel cas elle peut placer un peu plus de 20 tonnes en orbite basse).
(4) 7 astronautes ont perdu la vie au décollage lors de la mission STS 51 avec la navette Challenger et 7 également lors de la rentrée dans l’atmosphère de la mission STS 107 avec la navette Columbia)
(5) Artemis est un programme américain visant à renvoyer l’Homme sur la Lune, il fait suite au programme Constellation qui avait lui-même connu de multiples problèmes conduisant à son annulation en 2010. Récemment encore, en juin 2025, un test sur de nouveaux boosters censés plus performants pour la fusée SLS (lanceur des missions Artemis) s’est soldé par un échec (destruction de la tuyère).